L’utilisation du facteur de Bradford est remise en cause par une décision de justice européenne

Dans une décision du 25 octobre 2019, l’autorité chypriote de protection des données a imposé des amendes administratives à hauteur de 82 000 euros à trois entreprises liées pour avoir utilisé le facteur Bradford en violation des principes généraux du RGPD (règlement général sur la protection des données).

Le facteur Bradford est utilisé par de nombreuses entreprises dans le cadre de leur politique de ressources humaines pour l’analyse des absences (fréquentes). La formule est la suivante :

Nombre total de jours d’incapacité de travail x (fréquence sur une période donnée)²

En bref, l’autorité chypriote de protection des données a jugé ;

  1. Que le traitement des données à caractère personnel ne reposait sur aucune base juridique valable
    Les sociétés chypriotes s’étaient fondées sur « l’intérêt légitime » pour traiter les données personnelles dans le cadre du facteur Bradford. Toutefois, l’autorité chypriote de protection des données a estimé que les droits et libertés des travailleurs primaient sur les intérêts de l’employeur.
     
  2. Qu'il n’y avait aucune exception valable pour le traitement des données à caractère personnel
    Le traitement du facteur Bradford a été considéré comme un traitement de données relatives à la santé.

    Selon l’article 9 du RGPD, le traitement des données relatives à la santé est interdit, sauf si l’une des exceptions prévues à l’article 9 s’applique. L’autorité chypriote de protection des données a estimé qu’aucune exception à l’article 9 du RGPD n’était applicable.

L’autorité chypriote de protection des données a souligné que si l’employeur était autorisé à procéder au suivi des incapacités de travail (leur fréquence) et à les comptabiliser, il ne pouvait cependant pas s’appuyer sur le facteur Bradford à cette fin.  La notation de la capacité de travail (en attribuant des notes à chaque travailleur) est considérée comme disproportionnée, car les notes sont utilisées pour prendre des mesures individuelles (y compris des sanctions).

Pour l’instant, l’autorité belge de protection des données n’a pas pris officiellement position en la matière, mais il semble très probable qu’elle parvienne à la même conclusion que l’autorité chypriote. L’autorité chypriote souligne dans sa décision que son point de vue est conforme à celui de toutes les autres autorités nationales, ce qui ne fait qu’accroître la pertinence de sa décision.

Un récent arrêt du 11 septembre 2019 de la Cour de justice de l’Union européenne a examiné l’utilisation du facteur Bradford sous un angle différent, c’est-à-dire du point de vue de la législation sur la discrimination. Dans cet arrêt, il a été jugé que l’utilisation du facteur Bradford en cas de licenciement constituait une discrimination indirecte fondée sur le handicap, sauf si l’employeur avait procédé à des aménagements raisonnables au profit du travailleur.

En conclusion

Le récent jugement évoqué ci-dessus indique que l’utilisation de la formule du facteur Bradford est remise en cause. Il reste à voir quand l’autorité belge de protection des données se prononcera sur le caractère fondé de l’utilisation du facteur Bradford. Cependant, nous ne doutons pas qu’elle adoptera une position similaire à celle de l’autorité chypriote de protection des données.

Certimed conseille d’ores et déjà à ses clients de ne pas se fonder sur le facteur Bradford pour prendre des mesures individuelles (y compris des sanctions) à l’encontre de ses travailleurs. Concrètement, cela signifie qu’il est préférable de ne prendre aucune sanction (par exemple, mener des entretiens d’absence pour cause de maladie avec les RH ou le N+1 ou N+2 ou procéder à un licenciement), selon que le résultat du facteur Bradford est de 180 ou 240.

La décision de l’autorité chypriote de protection des données autorise néanmoins les employeurs à procéder au suivi des incapacités de travail (leur fréquence) et à les comptabiliser. Cela signifie qu’un employeur peut toujours prendre certaines mesures, sur la base de la fréquence et de la durée des absences (calculées sur une année, par exemple), mais pas sur un résultat chiffré, obtenu grâce à l’utilisation d’une formule, à savoir le facteur de Bradford.